Tourisme anarchique sur La plage de Sidi Ali El Mekki, Coucou et cap Farine… Péril imminent sur la région de Ghar El Melh

Par Tasnim KHALAF, journaliste qui collabore avec le WWF NA

Cap Sidi Ali El Mekki, Ghar El Melh, Tunisie

Maintenant, que la saison touristique estivale à la région de Ghar El Melh est clôturée, on peut discuter profondément des dégâts environnementaux que ces afflux des vacanciers exercent chaque année sur la région. 

Ghar El Melh, une région côtière située au nord-ouest de la Tunisie dotée d’un riche patrimoine naturel et culturel. Les plages de Sidi Ali El Mekki, Coucou et la falaise de Cap Farine, sont les principaux attraits touristiques de la région.

La qualité de la mer, la singularité du paysage et la belle offre gastronomique attirent chaque année des milliers de visiteurs pendant la saison estivale et leurs offre un cadre agréable et séduisant pour les vacances.

Mais, au-delà de cette image idyllique, les experts expriment leurs inquiétudes concernant la situation environnementale actuelle dans laquelle se trouvent la zone humide et la plage de Ghar El Melh.

Savons-nous la haute valeur écologique de la zone humide de Ghar El Melh ?

Lagune de Ghar El Melh @WWF NA

L’environnement et l’écologie sont ce qui rend Ghar El Melh aussi particulière et aussi exceptionnelle.

Cette région est dotée d’une zone humide à valeur inestimable. Elle s’étend sur plus de 15 000 ha sur des rives du complexe lagunaires.  

Les lagunes de Ghar El Melh jouent un rôle important dans l’atténuation du changement climatique. En effet, elles contribuent à gérer les phénomènes météorologiques extrêmes en atténuant les inondations et les ondes de tempête côtières et en fournissant de l’eau en cas de sécheresse.

En outre, Ces lagunes fournissent des services écosystémiques relativement uniques et vitaux à la communauté locale de la région et abrite une biodiversité en faune et en flore étendue. 

La lagune elle-même soutient la pêche artisanale et un système d’agriculture traditionnelle sur des ilots appelés les “Gattaya” et aussi culture RAMLI*.

 L’objectif de cet agriculture traditionnelle est de faire irriguer les cultures naturellement par le bas, grâce au mouvement de percolation d’une petite nappe d’eau douce en rapport avec la marée. Ces techniques sont très spécifiques à Ghar El Melh.

Agriculture entre terre et mer dans la lagune de Ghar El Melh, Tunisie ©MedWet/C.Amico

Le complexe lagunaire de Ghar El Melh est unique. Il fait partie des sites du patrimoine côtier les plus précieux de la Tunisie.

Ghar El Melh a été désigné en 2007 « zone humide à importance internationale » par la convention de Ramsar*. Aussi elle est la première ville dans l’Afrique et le monde arabe à recevoir le prix d’accréditation « ville des zones humides » en 2018, en reconnaissance de son engagement officiel dans les efforts visant à soutenir la protection et la durabilité des zones humides.

Selon les autorités publiques et le fond mondial pour la nature (WWF) bureau de l’Afrique du Nord-Tunis, ce site naturel doit être plus que jamais protégé et conservé dans le contexte actuel du changement climatique et de la hausse de la température.

En outre, cette zone humide est désormais l’allié de la population locale de Ghar El Melh en leur fournissant des produits naturels ainsi que l’agriculture, la pêche et le tourisme.

La plage de Sidi Ali El Mekki : la capacité d’accueil dépasse les limites

Plage Sidi Ali El Mekki, Ghar El Melh, Tunisie

Ghar El Melh est devenue malgré elle une destination incontournable du tourisme locale véhiculant une image de petit paradis. Les visiteurs mettent en avant la plage de Sidi Ali El Mekki qui est probablement l’attrait le plus populaire de Ghar El Melh.

Cela crée de l’emploi et offre une manne financière aux exploitants locaux actuels, mais présente également des soucis au vu des transgressions faites sur le plan environnemental et écologique.

Selon les chiffres d’une enquête menée par le projet GEMWET* qui est dirigé par le WWF de l’Afrique du nord, Ghar El Melh a accueilli en 2019 plus de 735.842usagers et 44.856 véhicules pendant la haute saison (15 juin – 15 septembre).

Juillet a été le mois le plus fréquenté de la saison avec 322.405 usagers. La plage est saturée d’usagers. 

« Ces chiffres dépassent la capacité d’accueil de la région et affectent sa zone humide et son écosystème naturel. Aussi, l’absence de la coordination entre les administrations locales et la faiblesse des pouvoirs publics, ont mené à une occupation illégale d’espaces vierges du domaine public maritime (Coucou plage, etc.) ». Déclare Khouloud CHARFI cheffe du projet GEMWET au sein du WWF de l’Afrique du nord-Tunis.

Les concessions commerciales comme les restaurants et leurs installations respectives à louer (cabanes, parasols, hamacs, par exemple), constituent l’un des usages qui occupent le plus d’espace sur la plage de Sidi Ali El Mekki.

Le nombre de ces concessions est réglementé par l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) qu’a reconnu le chiffre de 60 concessions donnant droit à l’installation de restaurants, cabanes et parasols.

En revanche, La Municipalité de Ghar El Melh informe de l’existence de 127 installations avec licence, et encore de 100 exploitations illégales sur la plage de Coucou (60 cabanes et parasols et 40 restaurants + cabanes + parasols). Ces installations n’ont pas été autorisées par la Municipalité.  

La Municipalité́ rappelle également l’existence de 8 occupations illégales (restaurants + cabanes + parasols) non autorisées dans le secteur de la falaise du cap Farina et de 5 concessions atteintes par la mer dans le secteur nord-est de la plage.

Cela signifie que le nombre maximum de concessions commerciales qui pourraient tenir sur la plage a été dépassé et que les espaces occupés devront nécessairement être inférieurs aux normes indiquées par la Municipalité elle-même.

Situation alarmante à la plage et aux berges de la lagune de Sidi Ali El Mekki :

Aspect de certains segments du cordon de dune de Sidi Ali El Mekki, Ghar El Melh, Tunisie (source : UPV, 2019)

D’après Khouloud CHARFI, les afflux des visiteurs aux plages sans adéquation des infrastructures dédiées ont des dégâts sur l’environnement de la région.

L’anarchie de l’installation d’aménagements touristiques sur la plage conduit à la perte de la biodiversité (disparition des dunes, de la végétation et des habitats de la faune) dans la plage et les lagunes de Sidi Ali El Mekki.

On remarque aussi le rejet d’eau usée et la présence du gravats et d’autres déchets solides provenant de ces installations touristiques. Cela contribue à la pollution, la salinisation, le risque accrue de contaminations des sédiments et des sols et l’augmentation non contrôlée de l’accessibilité à la zone humide.

De même, en ignorant qu’il s’agit d’une zone protégée au niveau international, l’installation des infrastructures hydrauliques et routières au profit des activités touristiques provoque la réduction des nappes d’eaux et la diminution des fonctions naturelles des zones humides et de leurs surfaces.

Impacts de véhicules sur le cordon de dune de Sidi Ali El Mekki (Source : UPV, 2019

Également, on ne peut pas négliger le stationnement qui a été reconnu comme l’un des problèmes environnementaux majeurs de la plage de Sidi Ali El Mekki car le nombre de voitures comptées aux jours de forte fréquentation est 3.662.

Ces véhicules stationnés près de la plage contribuent à la pollution de l’air et impactent le cordon de dune de Sidi Ali El Mekki.  

« Malheureusement, les visiteurs et les prestataires de services ne perçoivent pas la dégradation de l’environnement à la plage ou aux lagunes ; ils ne sont pas critiques vis-à-vis des questions de durabilité environnementale ou de conservation des espaces naturels. Il est temps de mettre en place une stratégie nationale de gestion du tourisme responsable et durable ». Ajoute Khouloud CHARFI.

En ce qui concerne l’utilisation de nouveaux espaces de plage tels que la plage de Coucou, le WWF NA assure qu’il s’agit d’une initiative très préjudiciable pour l’environnement, illégale et peu sûre pour les usagers. Il est question d’un site extrêmement fragile sur lequel reposent tous les mécanismes hydrogéomorphologiques de la lagune de Ghar el Melh.

C’est donc un espace de plage qui doit être protégé efficacement et avec tous les moyens disponibles au plus haut niveau, car les plus grands changements environnementaux de toute la région dépendent de cette enclave côtière.

Le même débat pourrait avoir lieu concernant cap Farina, où la pression touristique est moindre, mais où les problèmes d’environnement et de sécurité sont semblables.

*Projet GEMWET « Conservation et Développement Durable des Zones Humides Côtières à Haute Valeur Ecologique » est financé par la fondation MAVA et conduit par le fond mondial pour la nature de l’Afrique du nord-Tunis (WWF NA). Il est mis en œuvre en 2018 à Ghar El Melh appartenant au gouvernorat de Bizerte au nord de la Tunisie.
Le projet GEMWET intervient plus précisément au niveau de la lagune de Ghar El Melh et de son bassin versant.

*Convention de Ramsar : un traité intergouvernemental ouvrant pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides, à laquelle la Tunisie a adhéré en 1980 par l’inscription du site de l’Ichkeul.

* Culture RAMLI : cultures uniques au monde reposant sur un système d’irrigation passive où les racines des plantes sont alimentées en toute saison par l’eau de pluie et l’eau emmagasinée dans la montagne suite à la formation karstique géologique qui assure un ruissellement continu de l’eau vers la lagune et la Sebkha.

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